La
rose 'Ward
Sebba'auy' (1°) et les ancêtres des rosiers
Bourbon
Quelques indices de plus de l'ancienneté de
ce groupe
Les livres d'histoire, c'est bien connu, nous content souvent des "histoires", et ceux d'histoire des roses ne font pas exception. Comme souvent, l'"européo ou occidentalo-centrisme" des premières relations de la découverte des ancêtres des roses Bourbon laisse rêveur ! Les herbiers anciens apportent un rayon de lumière nouvelle sur l'histoire des relations rhodologiques entre les civilisations arabe et chinoise.
La rose Bourbon
À n'en pas douter,
la filière qui donna naissance en France au groupe que l'on nomma
roses Bourbon débute sur l'Île Bourbon (actuellement île
de la Réunion) dans le jardin de Monsieur Édouard Perrichon.
Que la rose originelle de ce groupe y aie été découverte
par Monsieur Perrichon lui-même ou, dès son arrivée en
1817 par Bréon, botaniste français en charge du jardin botanique
de l'Île Bourbon est moins clair (mais peut-être sans importance).
Au début des années 1820, d'une part Neumann en importa des
boutures en France, qui furent nommées 'Rose Neumann' ou 'Bengale
Neumann', et Bréon en envoya des graines à Jacques, jardinier
du Duc d'Orléans, c'est un semis (de deuxième génération
?) de l'une de ces dernières qui fut illustré par Redouté et
que Thory nomma Rosa canina Burboniana dans Les Roses, avec comme
précision supplémentaire qu'il lui avait été rapporté par
le Duc d'Orléans que la rose croissait dans les lieux incultes de
l'Île Bourbon.
Bréon interpréta la rose trouvée dans le jardin de M.
Perrichon comme un hybride entre la rose
de Damas des quatre saisons, R. x damascena var. semperflorens (Loisel)
Rowley et la rose
de Chine, R. chinensis Jacq., toutes deux cultivées en
abondance sous forme de haies ou de bordures décoratives sur l'Île
Bourbon. Si la génétique tend à corroborer cette interprétation,
rien ne prouve que comme certains l'ont avancé cette hybridation s'est
produite sur place. La présence de la rose originelle dans des lieux
incultes, peut-être simplement abandonnés serait peut-être
plus en accord avec ce qui suit.
'Rose Édouard' ou 'Rose Edward'
Une certaine confusion règne en ce qui concerne l'identité et l'origine de l'appellation de cette variété. Provient-elle du prénom d'Édouard Perrichon, dans le jardin de qui Bréon préleva du matériel qu'il envoya en France ? S'agit-il de la même rose que celle de Perrichon ? Qui a rapporté le premier cette appellation ? Qu'est-ce qui explique que cette appellation soit répandue en Inde ?
Dans son livre Roses
at the Cape of Good Hope, Gwen
Fagan relate les propos du Dr. B. P. Pal, fondateur de l'Indian Society
of Genetics and Plant Breeding selon qui des roses portant ce nom avaient été cultivées
autrefois à grande échelle en Inde pour la production de
produits parfumés au même titre que les roses de Damas. Selon
Pal encore, cette culture était en régression. Par la suite
elles ont également été utilisées comme porte-greffes,
mais leur sensibilité aux maladies fongiques les a fait abandonner
progressivement.
Les mêmes roses sont cependant toujours utilisées en Inde pour
l'ornementation des temples. Odile Masquelier, de roseraie de La Bonne Maison, à La
Mulatière, près de Lyon m'a précisé que deux roses
légèrement différentes par leur couleur y étaient
utilisées à cet usage. Gwen Fagan précise également
qu'il existe bien deux 'Rose Edward' en Inde, l'une formant un arbuste un peu
plus haut que l'autre. Elle recense 'Rose Edward' et la photographie aux Seychelles, à l'Île
Maurice, au jardin de Patraia près de Florence (Italie) et bien entendu
en Afrique du sud.
Intéressé par
toutes ces questions, j'ai acquis chez Peter Beales en Angleterre il y a
une douzaine d'années deux plants d'une variété portant
le nom de 'Rose Edward', qui lui venait indirectement du Jardin botanique
de Calcutta via la Nouvelle-Zélande.
Malgré une apparente inadaptation à certaines conditions de culture
ou de micro-climat (elle a néanmoins résisté à des
gelées de -15°C), la variété a pu exprimer ses principaux
caractères distinctifs. En végétation, si on la compare à R.
chinensis 'Old Blush', 'Rose Edward' a des tiges moins ramifiées,
plus grosses, plus raides et se lignifiant moins facilement, ainsi que plus
de rondeurs
au niveau de la fleur et du feuillage. Mis à part ses inflorescences
plutôt fournies et ses fleurs plus petites (la taille de celles de 'Old
blush'), elle se rapproche par son port des plus raides parmi les hybrides
remontants ou les hybrides de thé.
Dans de bonnes conditions elle produit facilement des fruits contenant de nombreuses
graines.
Si la qualité du parfum de la rose de Perrichon et Bréon n'est
jamais évoquée dans la littérature, cela atteste seulement
du fait que le XIXe siècle en Europe privilégia le côté esthétique
de la rose (2°). En ce qui concerne
'Rose Edward', le rapport de Pal cité plus haut l'intègre à la
même tradition d'origine arabo-persane (et peut-être introduite
en Inde par les Moghols) que les roses de Damas, cultivées pour leur
parfum et toute sa symbolique (de purification, etc.). Celui de la 'Rose Edward'
de Peter Beales a un caractère fruité "raisin-litchi" (le
fruité est son côté chinensis), plus pénétrant
que le meilleur des Gewürztraminer de grains nobles, infiniment plus frais
que celui des roses de Damas. Seule la variété 'Omar Khayyam'
peut rivaliser avec lui, bien que dans un registre plus "Damas" et
plus chaud. Ici en Belgique médiane sous climat frais et humide il est
rare que la fleur de 'Rose Edward' puisse s'ouvrir proprement en raison des
attaques fréquentes de botrytis qu'elle subit (une analogie de plus
avec la "pourriture noble" qui concentre les arômes des vins
de Sauternes et des grands Gewürztraminer). Cela n'empêche pas ses
pétales même "pourris" d'exhaler leur fabuleux parfum,
pour mon goût de très loin le meilleur de tous !!!
La rose 'Sebba'auy' d'après Gunnar Täckholm
Täckholm fut l'un des pionniers de la génétique des roses. On lui doit entre autres "On the cytology of the genus Rosa. Sv. Bot. Tidskr. 14: 300-311, (1920)". L'article dont un extrait est traduit ci-dessous fut l'une de ses dernières contributions à l'étude du genre Rosa. C'est un texte d'une rare acuité tant du point de vue de la systématique que du point de vue historique. Les spécimens d'herbier des différentes roses récoltées par Georg Schweinfürth et examinées par Täckholm pour cette étude étaient conservés dans l'herbier du Botanisches Museum Berlin-Dahlem et ont malheureusement été détruits lors du bombardement de Berlin par les Alliés en 1943. Heureusement des doubles de certains d'entre eux avaient été envoyés à François Crépin par Georg Schweinfürth (3°) et j'ai donc pu avoir en mains un spécimen de sa rose 'Sebba'auy' que je commenterai dans la seconde partie de cet article. Mise à part une différence quantitative au niveau de l'inflorescence, le reste de la plante et en particulier tous ses détails floraux sont identiques à ceux de 'Rose Edward'.
Traduction de la partie consacrée à Rosa Sebba'auy dans G. Täckholm, The Egyptian Garden Roses in Schweinfürth's Herbarium, Svensk Botanisk Tidskrift. 1932. Bd. 26, H. 1-2.
"... Tous les spécimens égyptiens concernés dans ce qui suit sous le nom de R. damascena sont de nature hybride et contiennent des caractères de R. gallica. Ils sont à considérer comme des roses de Damas selon les descriptions des travaux les meilleurs et les plus critiques de la littérature rhodologique. La plupart de ces spécimens de type damascena sont étiquetés du nom arabe ward sebba'auy et ils sont généralement très semblables entre eux. Voici une description de ce type (fig. 2).
Ward Sebba'auy. (Fig. 2.) - Tiges vertes, droites et dans la plupart des cas non ramifiées; aiguillons épars, comprimés latéralement, de forme triangulaire avec une extrémité droite ou légèrement recourbée; soies présentes seulement dans les inflorescences; folioles par 5 - 7, ovales à elliptiques, foliole terminale ovale, courtement acuminées, longues de 5 - 6 cm et larges de 3 1/2 - 4 cm; folioles latérales habituellement ovales-ellpitques, aigües; feuilles d'une texture plutôt mince, glabres en dessus, vert pâle et glabres en dessous, glabres ou à la nervure médiane légèrement pubescente; les latérales peu prononcées; dents simples ou un peu doubles; rachis munis de glandes courtement pédicellées, glabres ou parsemés de poils très courts et munis de petits aiguillons épars; stipules étroites portant de courtes oreillettes divergentes à la marge glanduleuse; inflorescences en riches corymbes pouvant atteindre vingt fleurs; pédicelles minces, densément glanduleux et couverts de soies raides, habituellement sans poils, se développant progressivement en réceptacles fusiformes glanduleux dans le bas, habituellement glabres dans le haut; sépales glanduleux, les internes entiers, les externes pinnatifides; sépales réfléchis durant la floraison; corolle double, probablement d'un rose foncé; styles libres, longs de 7 mm, villeux; fruit étroitement obovoïde, long de 2 - 2 1/2 cm, glabres.
La rose 'Sebba'auy'
ressemble beaucoup au spécimen illustré dans Redouté et
Thory (1817 - 24) comme R. bifera et que Thory, l'auteur du texte de
ce magnifique ouvrage illustré sur les roses considère
(p. 109) comme une espèce bien distinguable de damascena par ses
fruits fusiformes, non rétrécis brusquement à chaque
bout comme chez damascena. La rose 'Sebba,auy' diffère des illustrations
mentionnées ci-dessus par ses grands aiguillons larges et applatis.
Elle diffère également des descriptions dans la litérature
récente par ces aiguillons qui ne sont pas crochus, par l'absence
de soies entre les aiguillons et par ses folioles habituellement par
7 qui sont glabres en dessous excepté sur la nervure médiane.
Il semble évident que Schweinfürth hésitait en ce
qui concerne la nature de cette rose. Les étiquettes montrent
qu'il a sollicité l'opinion de trois grandes autorités
: à savoir le fameux horticulteur et spécialiste des roses
français Cochet-Cochet, le dendrologue allemand Koehne et le Maître ès
roses belge Crépin. Les deux premières autorités
ont considéré la rose 'Sebba'auy' comme un R. damascena,
mais Crépin l'a étiquetée comme une variété de
R. indica (= R. chinensis). Ces deux opinions différentes peuvent
cependant être combinées. Donc, comme je le mentionnais
auparavant, les anciennes formes de damascena furent largement remplacées
durant le 19e siècle par les Damas perpétuels, obtenus
par croisement avec R. chinensis. La rose 'Sebba'auy' est probablement
aussi une sorte de Damas perpétuel. Il faut savoir que les spécimens
fleuris collectés sont datés de décembre à mai,
et qu'un spécimen, collecté le 10 mai porte encore de jeunes
boutons floraux. Dans un cas on trouve même des boutons, des fleurs
et des fruits jeunes et mûrs sur la même planche d'herbier.
Avant l'introduction de R. chinensis, il n'existait pas de roses à floraison
réellement perpétuelle dans les jardins européens.
Les seules exceptions étaient certaines races de damascena, par
exemple R. omnium calendarum, qui néanmoins, uniquement moyennant
une taille artificielle étaient forcés de prolonger leur
saison de floraison. Je n'oserais pas affirmer que la rose 'Sebba'auy'
n'était pas traitée de cette manière, mais selon
mon opinion nous avons là un Damas perpétuel, issu d'un
croisement entre un ancien damascena de type bifera (au sens de Thory)
et R. chinensis. Sur certaines étiquettes, Schweinfürth a
nommé cette rose R. damascena var. sebba'aui Sfth. in "Arabische
Pflanzennamen aus Ägypten, Algerien und Jemen" (1912), le même
auteur lui a donné le nom latin de R. damascena v. corymbosa,
sans description néanmoins. Je n'ai été à même
de trouver cette description nulle part ailleurs dans ses publications.
Dans Redouté & Thory, une variété nommée
v. corymbosa est mentionnée sous R. damascena, mais comme elle
se réfère à R. damascena et non à R. bifera,
elle doit avoir des fruits ovoïdes et non infundibuliformes comme
chez la rose 'Sebba'auy'.
Le spécimen représenté dans cet article a été prélevé au
monastère copte d'Abbassia, au Caire en mai 1888. Ce spécimen
est étiqueté par Schweinfürth R. damascena et sur le même
figure une annotation de Koehne qui l'attribue à la même espèce,
tandis que Crépin le considère comme une variété du
R. indica. D'autres spécimens typiques de 'Sebba'auy' proviennent des
jardins suivants: Jardin de Sheikh Abu Khaluf, s. de Medinet-el-Fayum, avril
1888; Abbadia Musturat, n. du Caire, avril 1888; ancien jardin du Palais Ali
Pasha Sherif, avril 1888 et décembre 1901; ancien jardin de Mohammed
Bey Omar à Shubra (jardin de "Kumpania"), le Caire, mai 1897;
Alexandrie 1902; Luxor, décembre 1909.
L'existence de cette rose dans les anciens jardins déjà en 1888,
dont par exemple le monastère copte d'Abbassia indique qu'elle a été cultivée
en Égypte longtemps avant le début du 19e siècle pour
ce qui selon mon opinion est un hybride de R. chinensis. Les croisements entre
la rose de Chine et les anciennes roses européennes, dont les roses
de Damas, débutèrent durant ce siècle.
Le conservateur de l'herbier de l'Université égyptienne, M. Hassib,
B. Sc., m'a apporté des renseignements concernant la culture de 'Sebba'auy'
dans les jardins du Caire. Selon lui, il était autrefois
cultivé en
abondance mais il a disparu au moins des jardins importants. Son nom arabe
est néanmoins rarement connu des jardiniers du Caire ..."
Notes
1° Selon certains le nom de "Sebba'auy" correspondrait à celui de "Sibawayhi", auteur d'origine persane, premier grammairien de la langue arabe avec son ouvrage "Al Kitâb". Toute info supplémentaire au sujet de l'origine de cette appellation serait bienvenue.
2° le XXe, lui, fera primer la "productivité" commerciale et marketing, c'est ce qui entrainera au niveau des plantations l'apparition des plates bandes des roses et de couleurs "flashy", et au niveau de la fleur coupée d'une escalade esthétique discutable vers des roses uniflores et de plus en plus turbinées comme des "mannequins".
3° Parmi les récoltes de Schweinfürth on trouve aussi dans l'herbier Crépin des spécimens égyptiens de 'Ward Belledi', syn. R. gallica var. aegyptiaca Schw., un hybride sans doute proche des Damas et qui mériterait une étude approfondie (il a aussi collecté une forme étonnament proche au Yémen), ainsi que de R. x alba, de Ward 'Sahuri', peut-être un autre hybride comprenant du R. gallica et du R. chinensis, de R. bracteata naturalisé dans le delta du Nil, et aussi des spécimens d'Érythrée de R. sancta, syn. R. x richardii et de la même origine, et du Yemen de R. abyssinica.